Les conséquences de l’accident de Tchernobyl sont correctement décrites dans le livre de Svetlana Alexeïvitch « La Supplication »
Trompeur !
En bref
En détail
Le film Rembrandt fait référence à plusieurs reprises au livre "La Supplication," publié en 1997 par la journaliste et essayiste biélorusse Svetlana Alexeïvitch, Prix Nobel de Littérature 2015. Ce livre est un compendium de monologues basés sur des interviews réalisés par Alexeïvitch entre 1994 et 1996 auprès des gens de divers horizons qui ont vécu l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, notamment en Ukraine et en Biélorussie.
Ce livre, puissant et terrifiant, reflète bien la tragédie sociale, politique, morale et surtout personnelle qu'a représenté l'accident survenu dans la centrale le 26 avril 1986. Il a rencontré un grand succès auprès du public. Dans le film, les témoignages sont évoqués et ajoutent au climat de doute qui en émane.
Bien des choses qui y sont racontées sont vraies, comme les effets d'une irradiation aïgue subie par un pompier qui a travaillé à éteindre l'incendie du réacteur No 4 (le réacteur de Tchernobyl qui a explosé et éjecté des particules hautement radioactives sur son toit et ailleurs), ou que des fosses ont été creusées pour enterrer des animaux irradiés ou des équipements et des véhicules fortement contaminés. Il est aussi vrai que les autorités soviétiques de l'époque ont menti aux populations (et au monde) pour dire que la situation était sous contrôle, ou que les personnes évacuées reviendraient chez eux dans quelques jours (la plupart d'entre elles ont été relogées ailleurs).
Rumeurs et spéculations
Toutefois, quand le livre vire vers des spéculations, y compris des plus hallucinantes - racontées en partie par un journaliste interviewé qui dit lui-même que ce sont des rumeurs dont les gens ne savent pas si elles sont vraies ou fausses - nous sortons du domaine du réel.
Certaines de ces rumeurs ont pu être contrés par des études menées depuis l'accident dans les territoires contaminés :
- aucune fosse commune contenant des milliers de cadavres humains n'a jamais été mise au jour dans la région ;
- les animaux vivant dans les territoires contaminés, mis à part ceux de la forêt proche de la centrale qui sont morts dans les premiers mois suivant l'accident, ont pu reprendre leur vie et prospérer malgré les niveaux de rayonnement plus élevés ;
- une hausse des malformations congénitales n'a pu être révélée par aucune étude soumise à la revue des pairs à l'international, ou conduite par des équipes internationales ;
- les personnes évacuées n'ont pas été déportées en Sibérie pour y être internées, mais transportées vers de nouvelles communautés construites pour elles à distance des territoires contaminées.
Il reste des rumeurs qu'il est impossible de contrer : qui peut prouver qu'il n'y avait pas un vaisseau d'extraterrestres au-dessus de la centrale la veille de l'accident ?
Les bilans officiels
Pour ceux qui voudraient distinguer le vrai du faux concernant les conséquences de l'accident, nous recommandons la consultation des rapports de l'UNSCEAR, le Comité Scientifique des Nations Unis pour la recherche sur les effets des radiations atomiques, créé en 1955. Le comité, composé d'experts du monde entier, a fait une revue complète de la situation sanitaire autour de Tchernobyl dans un rapport approuvé en 2008 par l'Assemblée Générale des Nations Unies :
https://www.unscear.org/unscear/uploads/documents/publications/UNSCEAR_2008_Annex-D-CORR.pdf (en anglais)
Un résumé succinct des effets de l'accident sur la santé humaine est publié sur le site internet de l'autorité de sûreté nucléaire canadienne :
https://www.cnsc-ccsn.gc.ca/fra/resources/health/health-effects-chornobyl-accident
Enfin, l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire - qui fait partie depuis janvier 2025 de l'Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR) française, suit tous les aspects de l'accident de Tchernobyl depuis le début et publie régulièrement des documents à l'attention du public, dont le dernier date de 2021 :
Les chiffres
Le bilan tiré par ces experts des effets sanitaires de l'accident de Tchernobyl est le suivant :
- 2 personnes décédées dans les premières heures par traumatisme physique, brûlure thermique et effet des rayonnements.
- Juste après l'accident, 237 personnes sur les 600 travailleurs et secouristes présents sur le site, ont été hospitalisées, dont 134 ont été victimes du syndrome d’irradiation aiguë, 28 sont décédés dans les quatre mois qui ont suivi l’accident, et 19 autres jusqu’en 2006.
- Parmi les 600 "liquidateurs" (travailleurs participants aux opérations de décontamination et de nettoyage) présents lors de l'accident, ceux qui ont reçu les plus fortes doses ont développé des leucémies ou des cataractes ; les autres n'ont pas développé de cancers solides ou leucémies, ni d'autres maladies non cancéreuses qui peuvent être attribués à l'accident (c'est à dire, l'incidence de ces maladies est comparable à celle de la population générale1).
- Quelques 530 000 "liquidateurs" sur le site entre 1986 et 1990 ont été exposés à des doses se situant entre 20 et 500 millisieverts (mSv) (120 mSv en moyenne) (la dose limite référence règlementaire actuelle en France pour des équipes spécialisées en situations d'urgence est de 300 mSv). La santé des liquidateurs de Tchernobyl continue à être surveillée de près.
- Presque 7,000 cas de cancer de la thyroïde parmi les personnes en Biélorussie, Ukraine et Russie qui étaient enfants ou adolescents en 1986 ont pu être attribués à l'exposition à l'iode-131 radioactif due à l'accident (exposition externe ou interne, notamment consommation de lait contaminé). Le nombre total de cancers détectés était plus que le double mais le lien n'a pas pu être établi entre cette augmentation et le niveau des doses ; l'explication se trouve essentiellement dans un effet de "screening" dans un vaste programme entrepris en partie avec l'aide de scientifiques occidentaux. Quelque 15 décès dus à ces cancers ont pu être liés par l'UNSCEAR à l'exposition aux retombées de Tchernobyl (le cancer de la thyroïde n'est que rarement fatal).
- Dans un premier temps,116,000 personnes ont été évacuées d'une zone dans un rayon de 30 km de la centrale. Plus tard, quelques 220,000 personnes ont été déplacées des zones moins contaminées. Ils ont subi beaucoup de stress de tout type et plusieurs études ont pointé la détérioration de leur santé (sans conclure à un impact sur l'incidence du cancer), physique et mentale.
- Les conditions de vie dans la région ont été bouleversées par la chute de l'Union Soviétique et la séparation des trois républiques ex-Soviétiques affectées par l'accident.
- La santé et l'environnement de ces régions ont été, et continuent à être, l'objet d'un grand nombre d'études impliquant des scientifiques occidentaux dont les travaux ont été publiés dans des journaux à revue par les pairs.
Critique de la méthode de Svetlana Alexeïvitch
Pour ceux qui s'intéressent à la méthode d'écriture de Svetlana Alexeïvitch, une critique a été publiée en 2009 par Galia Ackerman, historienne à l'université de Caen et Frédéric Lemarchand, sociologue. On y apprend, entre autres révélations, que Mme Alexeïvitch a répondu par la négative à une demande de leur part
"...de verser les entretiens qu’elle avait réalisés dans les zones contaminées au fonds Tchernobyl que nous voulions créer au Mémorial de Caen [...] elle répondit à notre grande stupéfaction, qu’elle n’avait gardé aucune trace de ces bandes, que telle n’était pas sa vocation d’écrivain. Sans traces ni archives, nous penchons donc radicalement du côté de la littérature et non plus de celui de la « vérité historique » prônée par l’auteur."
Cet article a été rédigé pour apporter un éclairage sur la vision du nucléaire présentée dans le film Rembrandt.