Idée reçue

Le tsunami qui a causé l’accident de Fukushima n’était pas prévisible

Incomplet !

En bref

Le séisme de Tohoku de 2011 était d’une intensité exceptionnelle, et le tsunami a largement dépassé les protections de la centrale de Fukushima. Malgré tout, des nouvelles méthodes d’évaluation de l’aléa sismique avaient identifié la possibilité d’un tel tsunami, malheureusement trop tard pour prendre les mesures nécessaires et éviter l’accident.

En détail

Cet article est issu en quasi intégralité d’un fil twitter publié par Mickael Mangeon (@mangeon4).

Historique de la construction de la centrale

Après les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagazaki (1945) et la fin de l’occupation US du Japon (1952), les Japonais se lancent dans le nucléaire civil dans le cadre du programme US « Atoms for peace » lancé par le président Eisenhower en 1953 aux Nations unies.

À la suite du développement de réacteurs de recherches, le 1er réacteur nucléaire à produire de l’électricité est le réacteur Tokai-I de conception anglaise (réacteur magnox de type uranium naturel graphite- gaz carbonique de 159 MWe), mis en service en 1966. Au milieu des années 60, les Japonais se tournent rapidement vers les modèles US : Eau pressurisée de Westinghouse à Mihama et Eau bouillante de General Electric à Tsuruga et à Fukushima Daiichi.

En 1966 le site de Fukushima Daiichi est choisi. Il est au bord de l'océan Pacifique, sur la côte est de l'île de Honshū (la principale île du Japon), à environ 250 kilomètres au nord de Tokyo. Les travaux de construction démarrent en 1967.

Le front de mer est constitué d’une falaise de plus de 30 mètres de haut. Pour faciliter le pompage d’eau de refroidissement dans l’océan et améliorer le rendement du projet, l’exploitant japonais Tokyo Electric Power Company (TEPCO) décide d’excaver la falaise de 20 mètres.

Ainsi, la centrale est disposée à 10 mètres au-dessus du niveau de la mer pour les 4 premiers réacteurs nucléaires, 13 mètres pour les deux derniers construits quelques années plus tard. Par ailleurs, certains bâtiments et équipements sont disposés plus bas.

Etudes et évaluations de l’aléa sismique

La menace d’un séisme et d’un tsunami est considérée par les ingénieurs et experts japonais dès la conception de la centrale. L’évaluation de l’aléa sismique est basée sur une approche historique à partir d’un catalogue de 500 ans de données. Le scénario redouté est alors un séisme de magnitude 7 survenant à quelques dizaines de kilomètres du site.

Selon les experts japonais, ce séisme n’est pas susceptible de produire un tsunami conséquent. 

Pour autant, à la conception, un niveau d’eau de 3,122 m au-dessus du niveau de la mer est retenu comme niveau de référence pour protéger la centrale (par une digue notamment). Cette valeur très précise de 3,122 m correspond au plus haut niveau d’eau enregistré dans la région, dans le port d’Onahama à proximité du site, le 24 mai 1960. Il est relatif à un tsunami qui a traversé l’océan pacifique après le séisme de Valdivia (Chili magnitude 9,5).

Ce niveau est utilisé comme valeur de référence pour la centrale. Les réacteurs, situés sur la plateforme à +10m, sont largement à l’abri tandis que les autres bâtiments et équipements sont également construits, a minima, au-dessus de ce niveau de référence.

Ce chiffre de 3,122 m se fonde sur une réalité historique : dans l’histoire « récente » du Japon (500 ans), la région de Fukushima n’avait pas connu de Tsunamis importants ! Ceux-ci sont toutefois très courants au Japon, mais dans une zone située bien plus au Nord.

Légende : carte des tsunamis historiques recensés le long de la côte de Tohoku entre 800 après J.-C. à 1965.

Des traces (orales, stèles en pierre, sédiments…) de tsunamis anciens existent néanmoins. Plus tard, on comprendra qu’un tsunami important a déjà eu lieu dans cette région à la suite du séisme de Jogan en 869, mais sans informations claires sur l’impact à Fukushima.

Après le terrible séisme de Kobé en 1995 (magnitude 7, 6 437 morts, 43 792 blessés), les autorités japonaises lancent une refonte de la prévention du risque sismique et créent l’Earthquake Research Committee of the Headquarters for Earthquake Research Promotion.

Dans le cadre de ce programme, une nouvelle carte d’aléa sismique pour le Japon est réalisée, utilisant une nouvelle méthodologie à la pointe des connaissances scientifiques.

Grâce à la très bonne connaissance et instrumentation des failles, les experts japonais sont capables de mesurer/calculer précisément le chargement énergétique des différentes portions de failles et de définir un séisme caractéristique pour chaque portion (de taille réduite).

Avec cette nouvelle méthodologie, le séisme de référence pour la région de Fukushima est réévalué à une magnitude 7,4, et 7,9 pour la centrale de Fukushima par application d’un nouveau guide publié par l’autorité de sûreté japonaise (Nuclear Safety Commission) en 2006.

À la suite de la refonte de la prévention de l’aléa sismique, l’aléa tsunami est également réévalué pour tout le Japon à partir de nouvelles méthodes standardisées de la Japan Society of Civil Engineers (JSCE) en 2002 conduisent à de nouvelles études.

La première donne une évaluation du niveau d’eau maximum à 5,7 mètres et la seconde en 2009 de 6,1 mètres. Cette valeur est alors retenue par TEPCO et des travaux de surélévation (notamment de la station de pompage) sont effectués.

La méthode de la JSCE est alors la norme. Elle sera utilisée pour toutes les centrales nucléaires japonaises jusqu'au moment de l'accident, par exemple sur les centrales proches de Fukushima Daiichi : Fukushima Dani, Tokai ou Onagawa.

Dans le même temps, 3 méthodes exploratoires sont testées et fournissent des valeurs bien supérieures : une étude présente des niveaux d’eau allant jusqu’à 15,7 m à certains endroits du site !

Pour atteindre ce niveau d’eau, cette étude estime qu’à titre conservatif, un séisme de magnitude 8,2 peut survenir n’importe où sur la faille de subduction au large de l’île d’Honshu, indépendamment des données historiques et des séismes caractéristiques.

Une autre étude probabiliste réalisée par TEPCO indique qu’un tsunami de 10 m est possible mais reste très peu probable (une chance sur 100 000 à un million d'années). Enfin, l’intégration du tsunami de Jogan (869) dans un calcul donne un résultat de 9,2 m.

Par rapport aux précédentes estimations (3,122 m puis 6,1 m), ces nouvelles valeurs paraissent incroyables. Considérant ces nouvelles méthodes pas encore stabilisées, en août 2010, TEPCO met en place un groupe de travail dédié à la réévaluation de l’aléa tsunamis…trop tard !

Le 11 mars 2011, à la suite d’un séisme de magnitude 9,1, des vagues de 11,5 à 15 m franchissent les digues de la centrale de Fukushima Daiichi. Privés de refroidissement, les réacteurs 1, 2 et 3 entrent en fusion et entraînent un accident nucléaire majeur.

La gestion d’un accident nucléaire va donc s’ajouter à l’effroyable bilan du séisme et du tsunami : 15 897 morts, 2 534 disparus et 6 152 blessés. Nous ne reviendrons pas ici sur le déroulé et les conséquences de l’accident, déjà très discutées par ailleurs.

Conclusion

Si la hauteur d’eau sur le site était proche des dernières estimations exploratoires, le scénario global du 11 mars 2011 n’avait été prévu par aucun spécialistes japonais comme l’explique le directeur de la centrale de Fukushima lors d’une audition.

En effet, au lieu de scénarii sismiques de portion de faille de quelques dizaines de kilomètres, c’est 500 km de faille qui ont rompu ce jour-là. A posteriori, des travaux scientifiques et l’AIEA notent plusieurs défaillances dans l’évaluation des aléas des Japonais :

  • Une partie importante (80%) de l’énergie chargée sur certaines portions de failles au cours du dernier siècle n’avait pas été relâchée par des séismes. Les experts japonais ont considéré qu’elle avait dû se dissiper par glissement sans séisme.
  • Jusqu’à récemment, un manque de considération des évènements anciens, pourtant connus mais dont les données sont parfois manquantes (le séisme de Jogan, de 869 par exemple).
  • Un excès de confiance dans un paradigme scientifique, celui des rythmes sismiques ou séismes caractéristiques. Ce paradigme était alors dominant à l’échelle internationale, mais d’autres paradigmes existaient et des scénarii non prévus s’étaient déjà produits : par exemple, le séisme de Sumatra en 2004 (vidéo) qui a occasionné un tsunami (au moins 250 000 morts) est typiquement un mégaséisme non prévu dans cette région pour des raisons similaires au cas japonais.

Évidemment, il ne s’agit pas ici de faire une critique « facile » des experts et scientifiques japonais. Cette histoire nous apprend néanmoins que les fondements méthodologiques de l’évaluation des risques ne doivent jamais être tenus pour définitivement acquis.

C’est là toute la difficulté de construire et maintenir des ouvrages à risques via des connaissances scientifiques de pointe en évolution. Fukushima a rendu visible des erreurs d’évaluations mais celles-ci seraient sans doute passées inaperçues sans cet accident.

Sources :